Dans un monde du travail en perpétuel changement, il devient crucial de savoir prendre du recul sur ce que l’on fait. L’analyse des pratiques professionnelles (ou APP) est justement là pour ça : elle aide chacun à réfléchir à ses expériences, pour mieux comprendre ce qui s’est passé et s’améliorer. Le chercheur Francisco Varela, biologiste et philosophe Chilien, a proposé une idée originale qui peut enrichir cette réflexion : la théorie de l’énaction
1. L’énaction : une nouvelle manière de penser
Francisco Varela, avec d’autres chercheurs comme H. Maturana et E. Thompson, remet en cause l’idée que notre pensée fonctionne comme un ordinateur qui traite des informations dans un cerveau isolé. Pour lui, penser, c’est vivre, ressentir et agir.
- Nos pensées naissent de notre interaction avec ce qui nous entoure.
- Notre corps, nos émotions, notre vécu et le contexte comptent autant que notre cerveau.
- On agit selon ce que l’environnement « nous permet de faire » à ce moment-là, selon nos capacités.
Ce changement de regard nous aide à mieux comprendre comment on apprend, décide, ou agit au travail.
2. Comprendre les gestes du quotidien
Les pratiques professionnelles ne sont pas réductibles à des procédures, à des savoirs « à appliquer ». Elles sont situées, contextualisées, souvent improvisées face à des situations complexes et mouvantes. L’énaction nous permet de mieux comprendre cela :
- Le professionnel est pleinement engagé, avec son corps, ses émotions, dans ce qu’il fait.
- Le sens de ses actions se construit en interagissant avec les autres, les objets, les lieux.
- Son savoir est autant dans l’expérience et le vécu que dans la théorie.
L’analyse des pratiques devient alors une manière de réfléchir avec tout son être, pas seulement avec des mots.
3. Mieux relier ce qu’on vit à ce qu’on observe
Autre apport de F. Varela : il cherche à faire le lien entre la science du cerveau et ce que chacun ressent intérieurement. C’est ce qu’il appelle la neurophénoménologie.
Appliqué au travail, cela veut dire :
- Le professionnel est un acteur engagé corporellement et émotionnellement dans son environnement.
- Il co-construit le sens de l’action à travers ses interactions avec autrui, les objets, les lieux.
- Son savoir n’est pas uniquement théorique : c’est un savoir incarné, expérientiel, construit par la pratique.
4. Une autre façon d’explorer sa pratique
Dans les dispositifs d’analyse des pratiques, l’énaction invite à :
- Porter attention aux gestes, aux postures, aux ressentis du professionnel.
- Ne pas séparer le corps, l’esprit et l’environnement dans l’analyse.
- Encourager des approches qui reconnaissent la dimension corporelle, émotionnelle et relationnelle de la pratique.
Plutôt que d’imposer des grilles extérieures d’analyse, il s’agit de partir de l’expérience pour aller vers la compréhension, selon une logique émergente. L’énaction nous rappelle que comprendre, c’est aussi percevoir, ressentir et agir.
5. Conclusion : devenir un praticien curieux et attentif
S’inspirer de F. Varela, c’est promouvoir une posture de praticien réflexif, ou plutôt, de praticien-enquêteur : un professionnel attentif à ce qu’il vit, à ce qu’il fait, et à la manière dont cela résonne dans un monde relationnel et vivant.
L’énaction offre un cadre riche pour repenser la formation, le travail en équipe, la supervision et l’analyse des pratiques : plus humain, plus sensible, plus fidèle à la réalité de l’agir.
